Revue de presse

Malcolm in the Middle – Les aventures de Loïs et Hal

Qu'est-ce qui est le plus difficile ? Être un enfant surdoué au milieu d'une famille d'excités ou bien avoir enfanté 4 monstres qui vous rendent complètement paranoïaque ou dépressif ? Qui est le plus à plaindre ? Malcolm est une série qui joue sur ces deux registres dont le plus intéressant n'est pas forcément le plus exposé. Malcolm ou comment vous dégoûter de devenir un jour parent.

Couverture de © E¶isode
Couverture de "E¶isode" (novembre 2003).

Information

Cet article a été écrit par Thomas Barichella, Alain Carrazé et Eric Bouche et publié dans Eπisode | N° 13 | Novembre 2003 | P. 40 à 43.
Par respect envers les auteurs, nous avons conservé grammaire, syntaxe, orthographe, conjugaison, typographie et ponctuation des textes de l'article original.



La forme

Les sitcoms existent maintenant depuis une cinquantaine d'années à la télévision et, si elles ont naturellement mué, elles conservent cependant une certaine tradition formelle et de situation. La plupart du temps, la cible privilégiée des scénaristes est la famille américaine moyenne réunie dans son salon sur le canapé devant la télévision. Cependant, de temps en temps, une sitcom vient booster un genre un peu plan plan. Beaucoup ont crié au génie et à la révolution visuelle lorsque Malcolm est apparue sur les écrans de télévision il y a maintenant 5 ans. Pensez, une comédie intelligente sans rires enregistrés, dont l'action ne se déroule pas dans une seule pièce et qui prend des risques en ne proposant pas des personnages beaux et séduisants. Et pourtant Malcolm n'a rien inventé : tout était déjà présent dans le patrimoine télévisuel américain depuis des années. Malcolm l'a simplement popularisé et rendu accessible à tout le monde. Malcolm n'est pas révolutionnaire, mais évolutionnaire : sa grande force est d'aller puiser un peu partout et d'en ressortir le meilleur. Dream on ou le Larry Sanders Show avaient déjà replacé le quatrième mur (celui qui sert à positionner les caméras dans une sitcom) et se tournaient avec une seule caméra, sans public et sans rire. D'autres comme Parker Lewis ne perd jamais multipliaient déjà les tournages en extérieur et de nombreuses audaces visuelles. Enfin Mariés deux enfants avait déjà largement écorché le modèle de la famille américaine telle qu'elle nous était montrée dans Happy days par exemple. Sans oublier Les Simpson

Le modèle Simpson

La comparaison avec la série animée Les Simpson est inévitable. Ces deux séries sont des comédies déjantées sur des familles dysfonctionnelles. Le schéma familial est le même : un père de famille irresponsable et légèrement abruti, une mère qui doit être la personne la plus raisonnable de la maison et des enfants qui n'en font qu'à leur tête. Évidemment la série animée par Matt Groening a été un exemple pur Linwood Boomer qui a dû cependant prendre certaines décisions, une série animée n'ayant pas les mêmes restrictions qu'une série live. Au niveau des moyens d'abord, évidemment. Malcolm ne peut se permettre d'utiliser des centaines de décors et de personnages, alors que d'un coup de crayon, Homer se retrouve dans l'espace ou la mascotte adulée par des milliers de personnes au cours d'un match de baseball. Les effets spéciaux sont aussi un obstacle majeur. On pense par exemple à tous les épisodes spéciaux d'Halloween avec les extra-terrestres tentaculaires. Ils permettent de donner un peu plus de fantaisie à la série (comme lorsque Homer se retrouve dans le pays du chocolat). Ces restrictions vont obliger les scénaristes à être encore plus inventifs et faire naître des situations les plus communes l'étincelle de fantaisie.
La ressemblance ne s'arrête pas là et les deux séries peuvent être vues suivant un angle qui n'est pas forcément celui qui apparaît clairement à la première vision. Il est intéressant de pivoter légèrement et de ne plus se focaliser sur le personnage au premier abord le plus évident, celui qui est au centre, Bart et Malcolm, pour s'intéresser aux personnages qui doivent supporter tous leurs infernaux tours et maladresses, c'est-à-dire les parents. Si dans Les Simpson toutes les facéties de Bart semblent retomber sur la tête du pauvre Homer dans Malcolm les deux parents doivent subir les affres de leur progéniture. Ainsi Malcolm n'est plus une sitcom rigolote pour les enfants en mal de modèle mais bien le descriptif effrayant de la vie de parent.

Dur dur d'être parents

Si Hal et Loïs paraissent parfois un peu fantaisistes, rien ne les prédestinait à pareil sort cruel. Dans le premier épisode de la série, ils nous sont présentés de manière curieuse, Loïs rasant le corps couvert de poils de son mari nu au milieu du salon. Puis Loïs se balade aussi à moitié nue dans toute la maison et ouvre la porte aux voisins les seins à l'air. On essaierait de nous montrer que ces deux-là sont pour le moins bizarres qu'on ne s'y prendrait pas autrement. Il faut cependant comprendre qu'ils nous sont montrés à travers la vision de leur fils Malcolm, avec une loupe évidemment déformante. On pourrait imaginer comme dans le classique Rashomon de Kurosawa, une vision bien différente qui nous révélait une vérité tout autre en suivant le point de vue de Loïs et Hal. Car, sous ses dehors un peu effrayants, ils ne semblent pas si terribles que ça, ces pauvres parents :
Le pauvre Hal. C'est vraiment un bon bougre mais il est assez mauvais dans tout ce qu'il entreprend. D'ailleurs il ne bat ses copains de poker que sur une seule et unique compétence : ses fréquents rapports avec sa femme. Il faut dire que Hal est fou amoureux de Loïs. Depuis leur mariage, il n'a jamais eu envie d'une autre femme. Il ne pense qu'à lui sauter dessus : "J'adore te regarder faire quand tu chasses le cafard, on dirait une panthère sexy prête à tuer". Hal laisse donc à sa femme, qui le domine aisément, toutes les décisions à prendre.
Lois est la chef de famille. Elle prend toutes les décisions importantes et en fait subir les conséquences à ses quatre enfants. Mais avec un boulot pas forcément réjouissant dans un supermarché, on comprend un peu mieux qu'elle soit rapidement poussée à bout.
Que doivent donc réellement supporter ces deux parents somme toute assez classiques qui ne sont pas les monstres que se plaît à nous décrire Malcolm ? Rapide tour d'horizon pour mieux se rendre compte de l'ampleur des dégâts :

Quatre garçons dans le vent

Malcolm a un QI de 165. Il apparaît parfois comme un extra-terrestre à ses parents ce qui peut même jeter un froid (comme quand il répond, tel un monstre de foire, à toutes les questions mathématiques que lui pose une assistante médusée lors d'un pique-nique de son école). Il est donc ghettoïsé et se retrouve dans une classe de surdoués détestés de tous (les "têtes d'ampoule", un petit corps fin avec une grosse tête). Loïs va la caser presque de force avec Stevie, un surdoué comme lui, asthmatique et coincé dans une chaise roulante mais "c'est un être humain avec des émotions d'humain alors tu vas être copain avec cet éclopé, et avec le sourire". Malcolm conçoit son don comme un fardeau. Il ne faut pas croire que cette intelligence va le rendre raisonnable et fera de lui la fierté de ses parents. Malcolm qui voudrait tant être comme les autres va s'efforcer de multiplier les gaffes et les maladresses. Il met toute son intelligence à l'élaboration de plans qui auront pour résultat de mettre Loïs dans une rage folle. Mais comment réagiriez-vous en découvrant vos enfants qui jouent au baseball à l'intérieur de la maison et cassent votre mobilier ?
Car Malcolm a des alliés.
Tout d'abord Reese, le petit dur, avec qui il ne cesse de se chamailler. Reese est le méchant, le vilain, celui qui vous pourrit la vie à tel point qu'on a pas envie de rentrer parce qu'on sait qu'il vous attend. Il fait par exemple un concours avec Malcolm pour voir qui boira les produits les plus périmés du frigidaire. Mais ne vous laissez pas attendrir par Dewey, le plus petit. C'est le chouchou de Loïs et Hal. Ils ne devraient pas tant se fier à son sourire candide et son air un peu simplet, car c'est une cata ambulante comme lorsqu'il enfouit des restes de bonbons sous le plancher ce qui entraîne un départ obligé de toute la famille en attendant la décontamination de la maison. Avouez qu'il y a de quoi perdre légèrement patience surtout lorsqu'on se retrouve contraint d'émigrer dans une minuscule caravane sous le cagnard. Enfin Francis, l'aîné n'est pas présent dans la maison car il a été envoyé dans une école militaire pour apprendre la discipline après avoir brûlé la voiture familiale. Même s'il est loin de la maison il n'a pas pour autant décidé d'arrêter de pourrir la vie de ses parents comme lorsqu'il pique, avec la complicité de Malcolm, le code de carte bancaire de sa mère pour dépenser des centaines de dollars pour appeler sa petite amie.
Et pourtant tous s'aiment beaucoup… parfois (Malcolm l'a calculé "tous les 17,4 dîners, ma famille passe un bon moment à table").

De l'ordinaire surgit…

Pour bien faire comprendre l'horreur au quotidien que subissent Hal et Loïs, les scénaristes ont décidé de les placer dans des situations banales et habituelles que rencontrent n'importe quelle famille américaine classique. Tous les petits événements de la vie de tous les jours vont être utilisés et poussés à leur paroxysme. Prenez n'importe quel geste habituel de votre quotidien et imaginez comment il pourrait virer au cauchemar, et bien Malcolm et ses frères vont s'efforcer de dépasser encore votre sens de l'imagination. Le moindre petit geste peut se transformer en apocalypse.
En fait cette vie ne supporte plus aucun répit; les enfants piquent la carte bleue du père et quand ils demandent "Il a droit à combien de découvert, papa ?" Ils répondent ''C'est ce qu'on va voir"; aller au supermarché pour faire des courses risque de vous coûter votre travail si Dewey se met à voler à l'étalage. Le bonheur et le droit à une vie paisible est tout simplement rayé de la carte de la vie des parents.
On se demande à chaque fois quelle est la limite. Si Hal semble prêt à tout endurer, Loïs est beaucoup moins patiente. Lorsqu'elle espère trouver un peu de réconfort, elle se prend un mur en pleine face : comme quand espérant, pour une fois, avoir un beau cadeau pour son anniversaire elle donne l'argent à Malcolm et Reese qui s'empressent d'acheter des bonbons.

Et le social ?

Mais ne leur jetons pas la pierre, si les enfants sont la principale source d'ennuis d'Hal et Loïs, ils ne sont pas la seule. Les deux parents arrivent très bien à se créer seuls des ennuis avec crise de la quarantaine et tutti quanti comme lorsque Hal démissionne sur un coup de tête et décide de se mettre soudainement à la peinture. Les difficultés financières ne sont pas loin non plus. Hal et Loïs gagnent suffisamment pour élever leurs enfants, mais guère plus. La série présente ainsi le reflet d'une couche de la population qui éprouve des difficultés et qui n'est à l'abri de rien. Certaines petites phrases sont à cet égard particulièrement révélatrices : Loïs qui est licenciée ne touche pas le chômage parce qu'avec 38 heures par semaine elle est considérée comme travaillant à temps partiel. Enfin Loïs précise à Malcolm : "Si on regardait uniquement ce qu'on peut s'acheter, on ne verrait jamais que de la merde".
Malcolm est en fait une comédie noire qui fait parfois grincer les dents. Et si Malcolm nous prévient "ce qu'il y a de bien avec l'enfance, c'est qu'à un moment ça s'arrête", le cauchemar n'est pas prêt de s'arrêter pour Loïs et Hal puisque tous les âges de leurs enfants apportent leur lot de surprises et de consternation. C'est un véritable parcours du combattant auquel nous assistons.

Interview de Linwood Boomer

Ancien acteur dans La Petite maison dans la prairie et maintenant créateur-producteur heureux de Malcolm.

EπSODE : Vous êtes vous inspiré de votre expérience personnelle pour Malcolm ?
Linwood Boomer : De manière très exagérée. Je ne suis pas aussi intelligent que Malcolm. Il y a beaucoup de fortes personalités dans ma famille mais elle n'est pas aussi délirante. Tout au moins, elle ne l'est pas toujours.
(π) : Comment décririez-vous la série ? Est-elle plutôt réaliste ou au contraire fantaisiste ?
L.B : Je pense qu'elle est plutôt réaliste. La famille de Malcolm est assez extrême comme peuvent l'être parfois certaines familles. Les acteurs sont très puissants et ils apportent beaucoup à leurs personnages. Ils sont si drôles et si inventifs qu'ils se dont d'ailleurs un peu approprié la série.
(π) : A-t-il été difficile de passer cette série à l'antenne ?
L.B : On a été très chanceux. On avait un nouveau président sur la chaîne qui nous a un peu laissé carte blanche pour le tournage. On nous a donné beaucoup de liberté dès le début. On ne nous obligeait pas, comme c'est en général le cas, à tourner certaines choses que nous ne voudrions pas tourner. On a tourné les 12 premiers épisodes avant de commencer la diffusion sans la pression du public. On ne se préoccupait pas de savoir si ça nous plaisait. C'est vrai que c'est assez inhabituel et on est très reconnaissant.
(π) : Diriez-vous que la série est un peu fantastique ?
L.B : Dans l'enfance, tout est fantastique. Tout vous semble différent. Un adulte et un enfant voient la même choses mais l'interpréteront différemment. C'est beaucoup plus drôle pour un enfant.
(π) : On pensait que la sitcom était morte et vous voilà…
L.B : On dit toujours que la sitcom est morte mais en fait elle ne meurt jamais vraiment. Je pense que tout ce qui a été dit à ce propos était un peu exagéré. Il y a encore de très bonnes comédies à l'écran.
(π) : Est-ce que vous pensez repousser les limites de la sitcom avec Malcolm ?
L.B : Je ne sais pas. On n'a pas vraiment l'impression de repousser les limites. On fait ce qu'on a envie, ce qui est très bien et très rare. Dès que quelqu'un a une bonne idée, on la fait. On n'a aucune restriction et personne ne nous bloque. Mais je ne sais pas si on fait des choses controversées.
(π) : Que pensez-vous des Simpson ?
L.B : Je suis toujours fan. Ils ont fait plus de trois cent épisodes et ils sont toujours aussi excellents. Dans l'équipe, on adore tous cette série.

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Propos recueillis par Alain Carrazé - Traduits par Eric Bouche

Vieillesse naturelle

A l'orée de ses cent épisodes, Malcolm fait-il sentir son âge ? Si le premier symptôme d'essoufflement d'une sitcom est facile à reconnaître (on ne rit plus beaucoup, moins qu'avant en tout cas pour Malcolm), en identifier les raisons est un diagnostic plus subtil. L'argument communément avancé pour expliquer sa baisse de forme progressive des deux dernières saisons, c'est que Frankie Muniz a grandi. Beaucoup grandi même. Trahi par son âge, il n'est plus le petit "gamin" génial du pilote, ni même le garçon qu'on essaye encore de nous vendre, mais un adolescent, presque adulte. Certes, cette différence d'âge ne compromet pas le postulat de départ : les rapports parents/enfants terribles d'une famille "dysfonctionnelle" n'étant pas réduits à un âge limite de péremption.

Alors si Malcolm vieillit trop vite c'est peut-être plus à cause de l'immobilisme de ses intrigues, grosso modo les mêmes depuis le début, et ne variant que faiblement du moule initial. Du coup, les personnages photocopient à l'identique leurs relations les uns les autres au fil des épisodes et des saisons. Si une telle intemporalité sert les Simpson – c'est avec bonheur que l'on retrouve Bart dans la même classe chaque année – les petits cartoons jaunes, eux, ont la particularité de ne pas vieillir sous nos yeux. Bien-sûr, le personnage de Malcolm est entré au lycée, et a maintenant des petites copines, mais ses rapports aux autres protagonistes réguliers n'ont pas assez grandi avec lui. Et à s'interdire un renouvellement de leur fonds de commerce, les histoires sont devenues, carrées, presque mécaniques et moins surprenantes. Moins drôles donc.

A ses débuts, l'une des grandes audaces de Malcolm était de dépeindre enfin une famille normale dans ses travers et ses dysfonctionnements. Hélas, prenons Loïs et Hal par exemple. Le temps a aussi poussé leur brin de folie douce dans ses retranchements; leurs conduites farfelues ou excessivement autoritaires devenant parfois extrêmes, tendant vers une hystérie obligatoire où l'absurdité de leurs névroses va trop loin, reclassant ces personnages au rang de parents classiques… de sitcom télé, voire de cartoons ambulants !

De même les décors sont de plus en plus surréalistes où l'on retrouve Francis sont tellement déconnectés de toute réalité quotidienne que les gags tombent un peu à plat.
Espérons donc que l'arrivée d'un petit nouveau dans la famille va bousculer un peu le rôle de chacun, donnant une nouvelle place à chaque personnage, afin que Malcolm ne passe pas toute sa vie coincé "au milieu".

Thomas Barichella

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