Dossiers
La représentation du génie dans Malcolm
Malcolm n'est clairement pas la première série qui met en scène l'univers scolaire, ni à avoir un surdoué pour personnage principal. L'école (dans beaucoup de sitcoms pour adolescents) et les génies (dans beaucoup de séries policières et médicales) sont même des thèmes très répandus dans la fiction télévisuelle. En revanche, plus rares sont les séries qui traitent les deux sujets de front, et surtout, avec autant de pertinence et de justesse psychologique, sans jamais sacrifier l'humour. Le postulat d'un petit garçon surdoué malgré lui, et malheureux de son sort, permet à la série d'explorer le très ancien motif du "génie maudit", tout cela sur fond de "sociologie scolaire" finement observée.
Alors que tant de personnes – et de personnages de fiction – déplorent leur « normalité », craignent d’être ordinaires, et luttent pour se démarquer (talent, pouvoir, actions, esprit, parole…), on a ici affaire à un personnage qui assume complètement une volonté de conformisme scolaire. Malcolm veut être intégré, accepté, aimé, voire même, convoite l’inaccessible « poste » de mec cool et populaire de l’école/collège/lycée. Un rôle qui lui est instantanément interdit dès lorsqu’il entre dans ce cercle très fermé et pestiféré des intellos et des surdoués.
Il n’est pas inutile, à cet égard, de rappeler en passant que Malcolm est une série du tout début des années 2000, créée par un homme né au milieu des années 50. On est donc bien avant le renversement de situation qui vit le sacre du « geek » au cours des années 2010 (et dont The Big Bang Theory est le plus frappant témoignage). Être un surdoué, un nerd en science, avoir pour loisir la fabrication de robots, l’astronomie, la lecture de SF ou les expériences scientifiques, cela n’avait absolument pas le « charme » que cela a pu gagner ces dernières années, c’était la « honte » assurée et un gage de marginalité.
Sociologie scolaire
La série se lance ici d’entrée sur un de ses créneaux les plus forts, ce qui va faire non seulement l’un de ses plus puissants axes humoristiques mais aussi l’originalité et l’intelligence de son propos : la « sociologie scolaire ». Loin, bien loin du traitement secondaire, idéalisé et superficiel de l’école dans de nombreuses autres séries mettant en scène des adolescents.
Quiconque se souvient assez de ses années de primaire, de collège et de lycée, sait que l’école est un petit monde clos où des individus « contraints » (elle est obligatoire, et tout le monde n’est pas heureux d’y être !) sont enfermés ; d’où le terme « bahut » et autres parallèle avec le milieu carcéral (les « pions » qui font office de « matons »). Hors de la surveillance des professeurs et du cadre studieux des cours, la loi de la cour de récréation peut être dure, des groupes, des clans et des hiérarchies s’instaurent, reposant sur des critères d’intégration et d’exclusion arbitraires (physique, look, mentalité, niveau scolaire, origines sociales, expérience sexuelle…). On sait comme ce petit monde, préfiguration de celui des adultes, peut être rude et cruel (harcèlement, isolement, moqueries, discrimination, etc.). La loi du plus fort prime, mais le plus fort en quoi ? Le statut de chacun en dépend. Et c’est toute l’originalité et l’aspect presque visionnaire de la série, d’avoir traité de front ces thématiques, sans jamais sacrifier l’humour, mais au contraire en l’utilisant comme allié.
Malheureusement pour Malcolm, le monde scolaire marche un peu sur la tête ; dans un renversement de valeurs très nietzschéen, l’intelligence et la valeur intellectuelle, qui sont a priori les atouts pour un parcours scolaire agréable et réussi, deviennent de véritables tares, des marques d’exclusion et de détestation dans un milieu où, à l’opposé du monde des adultes culpabilisant l’échec et le déclassement, l’excellence doit s’excuser devant la médiocrité (plus encore sans doute dans le système scolaire américain, célèbre pour favoriser les élèves tant qu’ils sont bons en sport et qu’ils rapportent des coupes et de la publicité gratuite à l’établissement par leurs exploits sportifs !)
Malcolm en fait d’ailleurs directement les frais à son immense dépit, lorsqu’il doit aider un certain Igor, cliché du quater back sympathique mais décérébré, à écrire une rédaction déterminant son avenir dans une prestigieuse université (5.15). Ironie grinçante, non seulement Malcolm a dû écrire le devoir à la place du simplet, mais en plus découvre qu’il a été accepté d’office sans que le devoir fût lu. Un exemple parmi tant d’autres de comment la série parvient à faire éclater de rire, tout en appuyant là où ça fait mal et en faisant passer ses messages. La recette parfaite de la satire, en outre !
Cette sociologie scolaire remarquablement orchestrée par la série au gré des situations et des personnages, sans jamais alourdir son propos mais toujours au service de l’humour, trouve une de ses plus mémorables manifestations dans l’épisode où l’équilibre social du collège est complètement rompu dès lors que les têtes d’ampoule sont obligées de se mêler aux élèves ordinaires (3.21). Les surdoués s’intègrent chacun dans un groupe différent, représentant des tendances, des modes et des clichés bien connus de tous dans les écoles : les skaters, les balaises, les gothiques, etc. L’ennemi commun que sont les surdoués a disparu. C’est comme un écosystème où une espèce s’est éteinte : la chaine alimentaire est perturbée. La concorde laisse vite place au chaos général, à la guerre de tous contre tous. Dans une héroïque tentative, Malcolm tente de diriger l’agressivité collective vers le véritable ennemi commun : la direction de l’établissement, mais ce sont les têtes d’ampoule qui retrouvent leur statut initial de pestiféré… pour la paix de tous, au prix de la leur !
Malédiction du génie
Dès le tout premier épisode, et jusque très tard dans la série, Malcolm ne vit pas son intelligence comme un don, mais comme une véritable malédiction. Une relation paradoxale qui n’est pas sans rappeler celle des super-héros à leurs super-pouvoirs. Des personnages comme Spiderman n’ont pas choisi de devenir ce qu’ils sont, et doivent passer par une phase d’acceptation et de maîtrise de leur nouvelle nature, un renouvellement d’identité, et la perte d’insouciance que cela crée dans leur existence, jusqu’alors légère, d’adolescent lambda.
En présentant Malcolm comme un garçon à la fois très imbu de son intelligence (arrogance, condescendance, narcissisme) et en même temps victime d’elle et lui attribuant tous ses malheurs (isolement, échecs sentimentaux, mal-être), la série l’inscrit dans une véritable tradition de personnages de fiction, ces génies rendus misanthropes et irascibles par leur esprit supérieur les vouant à trouver les autres médiocres, à évoluer dans un monde trop lent et trop bête pour eux, méprisant les autres et en même temps dans un état de dépendance exacerbé vis-à-vis d’eux, sujet de terribles accès de dépression ou d’ennui quand ils ne sont pas suffisamment stimulés intellectuellement. Ces personnages, ce sont ceux de Sherlock Holmes et de Dr House, par exemple, l’un n’étant d’ailleurs que l’avatar médical de l’autre. Ces personnages ne sont eux-mêmes que des transpositions de cas réels que furent de nombreux artistes, écrivains et philosophes, à la fois bénis et maudits par leur don, lui attribuant à la fois leurs plus belles opportunités comme leurs plus terribles échecs ; caressant plus d’une fois le rêve d’être enfin normaux, et en même temps incapables de renoncer à la particularité qui les rend si spéciaux.
Plusieurs fois, au gré des saisons, la série soulève l’épineux paradoxe des « ignorants qui sont bénis » (et donc, des savants qui seraient maudits). En opposant systématiquement un Malcolm intelligent mais aigri à des personnages moins intelligents (voire carrément idiots) mais heureux, le constat est amer et insoluble. Le génie procure des bienfaits évidents, mais il vouerait à être malheureux et éternellement insatisfait. La bêtise est une tare et un frein, mais elle permettrait une forme de quiétude et d’insouciance.
Par rapport à ce dilemme, Malcolm reste longtemps (au moins les 4 premières saisons) sur l’idée que son intelligence lui pourrit la vie plus qu’autre chose, et s’il est loin de la bouder complètement et sait en faire usage avec plaisir, il affiche une préférence très nette pour d’autres préoccupations qu’exceller intellectuellement. Malcolm veut avant tout être accepté, aimé, bénéficier de tous les « privilèges » d’un adolescent normal : avoir des amis « cools » et branchés, faire la fête, avoir des copines, faire des bêtises. En cela, on peut dire qu’il ne se montre absolument pas à la hauteur de son don, et même très superficiel. Comme un certain Will Hunting, au départ…
Ce rejet de son intelligence comme un obstacle au bonheur, Malcolm l’exprime très souvent, au détour de simples répliques désabusées qui font toute la drôlerie et le charme du personnage. La bêtise exaspère Malcolm autant qu’elle le fascine, elle le repousse autant qu’elle l’attire. Ainsi, au-delà des simples mots, le jeune homme va plusieurs fois jusqu’à essayer de devenir bête à son tour, prêt à renoncer à toute intelligence, si cela peut au moins lui permettre d’être heureux et plus spontané. C’est le cas par exemple quand il demande à Reese de lui apprendre à débrancher son cerveau (4.04).
Malcolm est un personnage narcissique (il se le fait reprocher en permanence, l’exemple le plus brutal en la matière, à la fois hilarant et terrible, est la diatribe acharnée de Laurie, un ancien flirt, à son encontre (3.12), mais c’est une narcissique obsédé par les autres et le regard qu’ils portent sur lui. Il est à la fois bouffi d’orgueil, et en même temps n’accède pas à l’autarcie affective, « à la constance du sage » célébrée par Sénèque, du génie serein et imbu de lui-même qui n’a besoin de l’approbation de personne. Malcolm cherche l’approbation, le regard et l’estime des autres… mais est voué à les repousser et s’en faire détester par son attitude hautaine et suffisante. Une malédiction, on vous dit !
Commentaires