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Jean-Louis Faure : la voix française de Bryan Cranston s’est éteinte
Nous avons appris, avec beaucoup de tristesse, le décès du comédien Jean-Louis Faure, la voix française du plus fou des papas de la télévision ainsi que de nombreux autres rôles dans le cinéma et les séries.

On peut l’entendre en ce moment au cinéma, dans le film phénomène The Batman de Matt Reeves, où il prête sa voix au Commissaire Gordon (Jeffrey Wright). Parmi tant d’autres personnages de films et de série, il a marqué des générations entières en donnant sa voix à Walter White dans Breaking Bad et Hal, le papa de Malcolm, avec en commun un acteur dont il était la VF officielle. Jean-Louis Faure, comédien français particulièrement actif dans le doublage, est décédé, a annoncé Emmanuel Karsen — avec qui il avait collaboré sur la VF de Breaking Bad et El Camino — ce dimanche 27 mars .
Débuts et nombreux rôles dans le doublage
Jean-Louis Faure a fait ses débuts de comédien sur les planches, dans les années 70/80 avec, de son propre aveu, peu de succès. Les rôles étaient rares ou peu lucratifs, et c’est donc d’abord pour (sur)vivre de son métier qu’il a frappé à la porte des studios de doublage, alors pas encore aussi confidentiels et fermés qu’aujourd’hui, à l’âge d’or des VF.
Tout de suite, il a eu du travail, et même des débuts assez insolites, sur lesquels il était revenu avec amusement dans la longue interview qu’il nous avait accordé. Il a en effet eu l’occasion d’être une des toutes premières VF de Arnold Schwarzenegger, en 1980, dans le documentaire Pumping Iron, consacré au culturisme, alors qu’il était encore un acteur méconnu, en devenir, quatre ans avant son rôle emblématique de Terminator en 1984, bien avant que le comédien français Daniel Berreta ne devienne sa célèbre VF officielle. Jean-Louis Faure aura même eu l’occasion de doubler une autre légende, d’un autre âge d’Hollywood, en étant choisi comme voix française de l’acteur Cary Grant dans le nouveau doublage du classique L’impossible Monsieur Bébé de 1938.
C’est à la télévision et dans les séries qu’il a prêté sa voix à divers seconds rôles dans de nombreuses séries, à une époque où la demande est énorme. Tout au long de ses quarante années de carrière, il aura mis son grain de sel (et de voix) dans la plupart des séries les plus populaires, de Smallville à Ally McBeal, de Monk aux Experts, en passant par Esprits Criminels, NCIS et Veronica Mars. À plusieurs reprises, il double des patients dans la série Dr House, entre 2004 et 2012.
Mais plus récemment, dans la nouvelle ère « Netflix / HBO » des séries, bien que la VF ait été de plus en plus boudé par une partie du public au profit de la VO, c’est dans des séries incontournables de ces dernières années telles que Six Feet Under, Game of Thrones, Lucifer, The Good Place que vous n’avez pas pu échapper à sa voix grave, chaude et rassurante. Et bien sûr, parmi elle, celle de Hal, le père excentrique aux mille lubies de la série chère à nos cœurs : Malcolm.
Le tournant Malcolm et Breaking Bad, de Hal à Walter White
La série de Linwood Boomer, en 2000, est un tournant crucial dans la carrière de Jean-Louis : non seulement il hérite d’un rôle récurrent, principal, amené à devenir culte pour des générations de spectateurs au gré des multi-rediffusions, mais aussi : il accède au privilège des plus grands comédiens de doublage, en devenant le VF officielle fixe d’un acteur : Bryan Cranston.
Avec Hal, Jean-Louis Faure révèle tout son talent de comédien, capable de suivre l’acteur virtuose dans tous ses registres et ses délires, capable aussi bien d’exprimer l’émotion d’un papa gâteau à fleur de peau que les crises de nerf d’un époux excentrique et survolté. Cette VF de haute qualité, a clairement beaucoup fait pour rendre le personnage aussi cher, attachant et hilarant pour le public français.
Leurs carrières, celle de l’acteur et celle de son doubleur, ont donc décollé ensemble, en même temps, et leurs destins s’en trouvent ainsi intimement liés. En plus de tous les nombreux films où Cranston est apparu au cours de ces vingt dernières années, c’est dans Breaking Bad, durant 5 saisons entre 2009 et 2013 que Jean-Louis Faure retrouve Cranston, dans le rôle du glaçant Walter White, joignant à la performance de l’acteur celle d’un doubleur passant avec la même facilité déconcertante du registre comique de Malcolm au registre dramatique de la série phénomène et déjà classique de Vince Gillighan.
Des acteurs récurrents
Jean-Louis Faure a toujours exprimé sa gratitude à la directrice artistique Catherine Le Lann de l’avoir choisi, lui, pour doubler Bryan Cranston dès Malcolm. Et c’est avec la même intuition et la même confiance qu’elle lui confie, plus tard, le doublage de l’acteur Ted Denson, d’abord avec son rôle principal dans Les Experts, mais aussi plus récemment avec le rôle principal de Michael dans The Good Place.
Particularité intéressante, Jean-Louis Faure fait partie de ces rares comédiens blancs qui a été le doubleur officiel ou récurrent de plusieurs acteurs afro-américains : déjà Matthew St Patrick, entre autres dans son rôle de Keith, petit ami de David Fisher (Michael C. Hall) dans Six Feet Under ; plus récemment, Woodside D. B. avec son rôle d’Amenadiel dans la série Lucifer ; mais surtout, au cour de ces vingt dernières années, l’acteur Jeffrey Wright dans ses divers rôle, des séries au cinéma, avec entre autres Hunger Games, James Bond et dernièrement le commissaire Gordon, dans The Batman de Matt Reeves.
Gentillesse et simplicité
De sa propre formulation, Jean-Louis Faure assimilait le travail de doublage à du « karaoké », et approchait ce travail avec un mélange d’humilité, de professionnalisme et de passion. Fumeur impénitent, il considérait avec philosophie que cette mauvaise habitude avait permis renforcer sa voix dans des graves intéressantes pour camper les rôles souvent mûrs et viriles qu’il était amené à doubler.
En plus d’un remarquable comédien de doublage au CV vertigineux qui côtoyait et collaborait avec tous les autres plus grands talents du milieu, Jean-Louis Faure était un homme plein de gentillesse, de générosité et de modestie, comme le montrent les nombreuses réactions publiées suite à cette nouvelle, à l’image de celle de Guillaume Orsat, le directeur artistique de la version française de Breaking Bad :
« Mon Jean-Louis, notre Jean-Louis. Une des plus délicieuses et joyeuses rencontres que ce métier m’ait apportée. Un merveilleux partenaire de jeu. Mon Walter White, et pas que. Tu resteras pour toujours dans mes pensées les plus tendres. Va en paix, compagnon. »
Donald Reignoux, la voix française de Reese, qui avaient collaboré avec Jean-Louis sur la version française de Malcolm, a lui aussi réagi sur Twitter :
Il apportait une magie sur la voix de Bryan Cranston comme (très) peu arrivent à le faire…
J’admirais son travail sur Breaking Bad qui restera l’une des plus belles VF…
Et que dire de Malcolm…
Tu vas nous manquer Jean Louis Faure 🖤 Repose en paix— Donald Reignoux (@DonaldReignoux) March 27, 2022
La dernière apparition publique de Jean-Louis Faure, c’était le 5 novembre 2021, il y a moins de 5 mois, en direct sur YouTube, dans l’émission « Stream VF » de Donald Reignoux justement, en compagnie de Brice Ournac, soit les trois voix françaises de Hal, Malcolm et Reese réunies sur un même plateau. Jean-Louis Faure apparaissait alors en pleine forme et très décontracté auprès de ses acolytes. Et les fans ne cachaient pas leur joie de découvrir le comédien de doublage d’un des papas les plus aimés de la télévision.
Il y a 5 ans, en septembre 2017, il nous avait accordé une longue interview filmée, en nous accueillant directement chez lui, en toute simplicité, et sans compter son temps. Il nous avait passionnés et beaucoup touchés avec la générosité de ses réponses et de ses confidences sur son métier, pleines de détails, de souvenirs et d’anecdotes. Un véritable professionnel, tout en humilité, presque étonné autant que réjoui de l’enthousiasme que pouvait susciter son travail.
Depuis cet entretien, il avait gardé contact avec notre équipe, nous adressait ses vœux, et se montrait plein de bienveillance pour le site et les fans. Ce n’est donc pas seulement la voix du papa de Malcolm que nous perdons, mais celle d’un de nos papas de télévision, associée à plein de bons souvenirs et de réjouissants moments de vacances et de week-end devant notre série culte.
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