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Marion Game : de Lois à Huguette, le récit d'une vie singulière

La voix française de Lois, qui incarnait Huguette dans la série à succès de M6 Scènes de ménages, est morte jeudi 23 mars à l’âge de 84 ans.

Notre tête d’ampoule est désormais orphelin de père et de mère. Du moins est-ce le cas concernant les voix françaises de ses parents. Après le décès de Jean-Louis Faure, voix française de Hal, survenu le 27 mars 2022, c’est Marion Game, voix française de Lois, qui s’est éteinte le 24 mars 2023, à peine un an plus tard, presque jour pour jour. Poétique coïncidence de temporalité. Comme si, décidément, le couple mythique de la série culte était inséparable, même par-delà ses interprètes.

Marion Game était nettement plus populaire et célèbre que son acolyte masculin, du moins depuis ces dix dernières années, marquées par son apparition quotidienne dans la série Scènes de Ménages, sur M6, programme court devenu rapidement culte, et où le couple de petits vieux à l’amour vache qu’elle formait à l’écran avec Gérard Hernandez, Huguette et Raymond, faisait la joie des grands mais aussi des petits. En effet, les deux comédiens avaient plusieurs fois confié avoir beaucoup de petits fans, et plusieurs fois leur couple a été cité comme le favori du jeune public. Une véritable explosion de notoriété et de popularité, sur le tard, pour une comédienne longtemps reléguée à l’arrière-plan, dans des seconds rôles, des figurations, des comédies potaches, des doublages mineurs ou des apparitions régulières dans quelques programmes télévisés.

De l'autre côté de la Méditerranée

Marion Game, née Madeleine Game le 31 juillet 1938, voit le jour et grandit à Casablanca, à la fin de l’ère coloniale. Orpheline de père dès ses 9 ans, elle est confiée à des membres de sa famille et se résoudra à quitter son pays natal suite à un attentat dont elle réchappe blessée.

En 1959, à 21 ans, elle épouse Philippe Ledieu, qui sera le père de sa première fille, Virginie. En 1958, après son divorce, à 30 ans, elle s’inscrit aux Cours Simon et entame ainsi son itinéraire de comédienne.

Une comédienne populaire

Malgré de belles distinctions dans sa formation d’actrice, Marion Game va connaître une carrière discrète et parfois difficile. Tout au long des années 70 et 80, elle va tourner autour du monde du petit et du grand écran, sans jamais vraiment s'y imposer, toujours un peu à la marge, multipliant les apparitions, les figurations ou les seconds rôles dans des comédies potaches aux titres aussi fameux que truculents, tels que Les Bidasses en Folie (1971), C’est pas parce qu’on a rien à dire qu’il faut fermer sa gueule (1974) ou Mon curé chez les Thailandaises (1983). À noter toutefois sa collaboration avec Jean-Pierre Mocky pour son film L'Albatros (1971), ce qui fait joli dans le CV. 

Collection ChristopheL / Gaumont

Marion Game dans "La liberté en croupe" (1970)


Plus tard, elle pourra compter sur quelques rôles ponctuels dans des séries françaises très suivies, telles que Alice Nevers, le juge est une femme, Boulevard du Palais ou plus récemment Camping Paradis.

Mais c’est évidemment au théâtre qu’elle pourra le plus côtoyer directement le public, à travers de nombreuses pièces jouées tout au long de sa carrière, des années 70 aux années 2010.

Cette carrière longtemps en pointillé aura au moins permis à Marion Game de jouir d’une certaine sérénité et confidentialité quant à sa vie privée, lui laissant la liberté de vivre ses histoires d’amour, dont la plus fameuse et pourtant pas la plus longue, aura été celle avec l’animateur Jacques Martin, dont elle fut la compagne entre 1968 et 1972. C’est par la suite avec le comédien suisse Jacques Verlier qu’elle fera sa vie, et deux autres enfants, ses fils, Romain et Matthieu.

Il était une voix

Comme pour plusieurs autres comédiens un peu boudés des plateaux de tournages ou ayant du mal à gagner correctement leur vie dans le milieu impitoyable et très concurrentiel et fermé du cinéma, Marion Game a très tôt mis ses talents de comédiennes au service d’un métier souvent sous-estimé ou dénigré, et pourtant élevé au rang d’art par un savoir-faire français sans comparaison : le doublage ou post-synchronisation vocale de films étrangers par des comédiens de doublage francophones.

Et c’est dans ce domaine en particulier que Marion Game va connaître certains de ses plus grands succès, dans l’anonymat paradoxal de ces orfèvres de l’ombre, et qu’elle va pouvoir faire la démonstration de son immense talent d’interprétation.

Un travail qu'elle prenait très au sérieux, et qu'elle considérait comme particulièrement difficile, car "il faut savoir s'effacer, s'oublier, derrière le personnage et l'acteur original qui l'interprète." C'est ce qu'elle confiait en 2013 à Nathalie Karsanti dans son émission consacrée au monde du doublage, "Il était une voix", sur YouTube

Côté doublage de films, Marion Game a commencé dès les années 70 en prêtant sa voix au personnage de Betty dans le cultissime Grease (1979). On ne le sait pas forcément, mais c’est elle qui prête sa voix à la très chère maman de Forrest Gump, interprétée par Sally Field, dans le film éponyme de Robert Zemeckis en 1994. Plus tard, elle double l’actrice Julie Walters (plus connu des potterheads comme interprète de Julie Weasley) dans les films musicaux Mamma Mia!. Parmi les autres films qui ont bénéficié de sa voix, on peut citer Arrête-moi si tu peux (Steven Spielberg, 2003), Lolita malgré moi (2006), Ocean’s Twelve ou encore Mystic River. Elle a même été la voix de Bonnemine, la femme du chef, dans Astérix et les Vikings.

Paramount Pictures

Marion Game interprète la voix de Sally Field (Mme Gump) dans "Forrest Gump" (1994).


Côté série, son CV est encore plus impressionnant, et on peut dire qu’elle a posé sa voix dans la plupart des principales séries télé entre les années 80 et 2010. Parmi elles, Columbo, Twin Peaks, Une nounou d’enfer, Grey’s Anatomy, Modern Family, The Middle, Desperate Housewives, Friends, Charmed, Beverly Hills, Nip/Tuck, etc.

L'aventure Malcolm

Mais, évidemment, son doublage le plus fameux, cela restera celui du personnage de Lois, "la maman complètement folle" (comme elle la qualifiait elle-même) de Malcolm. Non seulement parce que c’est un rôle principal, qu’elle a dû tenir de façon récurrente et intensive dans près de 120 épisodes sur 7 saisons, mais aussi parce que c’est probablement la plus grande performance d’actrice de sa carrière. Grâce aux possibilités offertes par l’excentricité du personnage original et de la série dans son écriture et sa mise en scène, Marion Game a bénéficié ici d’un terrain de jeu unique et jubilatoire pour déployer toute sa gamme d’émotions, de la colère à la tendresse, en passant par la tristesse et l’hilarité. Lois est une mère plus qu’au bord de la crise de nerfs, une boule d’émotions, qui hurle, qui pleure, qui soupire, qui ricane, qui sait se montrer doucereuse, enjôleuse, sexy mais aussi menaçante, inquiétante, autoritaire, sarcastique ou passive-agressive. Une symphonie d’humeurs et d’envolées sonores dont quelques extraits bien choisis ne peuvent rendre que partiellement compte.

Twentieth Century Fox Film Corporation

Marion Game interprète la voix française de Jane Kaczmarek (Lois) dans "Malcolm".


La VF de Malcolm est une réussite qui fait référence, aussi bien dans sa direction artistique, son casting vocal impeccable, des adultes aux enfants, et son adaptation fine et enlevée. Marion Game, en tant que comédienne, fait partie de cette réussite, et elle porte clairement la série avec son acolyte Jean-Louis Faure, doubleur de Hal (Bryan Cranston). Ce dernier évoquait d’ailleurs leur collaboration avec beaucoup de tendresse, d’estime et d’admiration lorsque nous avions eu la chance de le rencontrer. Nous aurions aimé avoir cette même chance concernant Marion Game, et ce n’est pas passé loin, à plusieurs reprises. Entre autres lors de la soirée de lancement de la première saison en DVD (en 2015). Elle s’était désistée en dernière minute, non sans s’excuser avec humilité et auto-dérision, se qualifiant elle-même de "petite vieille qui se couche tôt".

La popularité sur le tard

C’est précisément dans un rôle de "petite vieille qui se couche tôt" que Marion Game aura finalement connu, tardivement, le succès populaire et l’exposition médiatique, grâce à la série quotidienne de M6, Scènes de Ménages, où elle interprète Huguette, en couple depuis plus de 50 ans avec Raymond, interprété par Gérard Hernandez (une vieille connaissance des studios de doublage). Le couple de séniors retraités s’est rapidement distingué comme le plus comique, le plus antipathique et attachant à la fois, grâce à leurs réparties cinglantes, leur mauvais esprit et leurs coups fumants. Ce n’est donc pas si étonnant que, lors de la disparition de Marion Game, le prénom "Huguette" caracolait en Top Trend sur Twitter, car pour beaucoup de gens, elle restera ce personnage qui aura fait partie de leur quotidien pendant plus de 10 ans.

Noon / M6 Studios

Marion Game et Gérard Hernandez dans "Scènes de ménages".


C’est probablement ce mélange paradoxal de notoriété et d’anonymat qui aura inspiré à Marion Game le titre de son autobiographie parue en 2013 : C’est comment votre nom, déjà ?. Question qu’elle a dû entendre bien des fois, quand on ne l’appelait pas simplement "Huguette". Trop peu, hélas, l’auront appelée "Lois" ou auront su quelle immense comédienne de doublage elle a été et la performance extraordinaire qu’elle a livrée pour la maman du petit génie. La série Malcolm lui doit énormément. Et pour cela, elle aura toujours notre admiration, notre reconnaissance et notre respect, elle qui, mamie pour beaucoup d’autres, par sa voix familière, sera toujours un peu notre maman.

Marion Game s’est éteinte le 24 mars 2023, à l’âge de 84 ans, "de vieillesse", selon les mots de sa fille, Virginie. Jusqu’au bout, une grande pudeur et discrétion aura entouré l’état de santé de la comédienne, qui faisait l’objet de certaines rumeurs depuis quelques temps. Son absence à certains événements avait été très remarquée, et laissait imaginer que la santé n’y était plus. Son camarade de jeu, Gérard Hernandez, s’était montré rassurant sans pour autant s’avancer. Ses obsèques auront lieu à Paris, le vendredi 31 mars.

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