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#TouchePasMaVF : les voix françaises de Malcolm veulent sauver le doublage menacé par l'IA

Les comédiens de doublage montent au créneau. En cause : l'usage grandissant de l'intelligence artificielle qui menace leur métier. De quoi s'agit-il ? On vous explique.

Peut-on confier nos personnages cultes à des voix artificielles ? Alors que le retour de Malcolm est annoncé sur Disney+, une question fait grincer bien des dents : qui incarnera en version française les voix désormais orphelines de Lois et Hal, respectivement doublés à l’origine par Marion Game et Jean-Louis Faure ? Et si nous avons toute confiance dans les choix que fera la nouvelle direction artistique de la série (et on a même quelques idées), de nombreux commentaires ont proposé — voire espéré — une alternative désormais bien connue : l'intelligence artificielle.

Si l’émotion est palpable chez les fans de la première heure, un débat plus large anime aujourd’hui le monde du doublage : celui de l’irruption de l’intelligence artificielle dans un métier fondé sur l’interprétation humaine. Faut-il y voir une évolution inévitable ou une menace directe pour un savoir-faire artistique unique ? Face à cette montée en puissance des voix synthétiques, des comédiens de renom montent au créneau. Sous la bannière "Touche pas à ma VF", une campagne est lancée pour défendre la version française et ses artisans, porteurs d’une tradition culturelle enracinée dans le paysage culturel français.

Car une VF, ce n’est pas qu’une voix : c’est tout un métier. On l'oublie souvent, mais le doublage est un travail d’équipe, bien plus vaste que la seule performance vocale. Avant même qu’un comédien ne prenne le micro, le détecteur analyse minutieusement chaque scène : il note les temps de parole, les changements de plans, les silences, les respirations — autant d’éléments qui servent de base à l’adaptateur, chargé de réécrire les dialogues dans un français naturel, rythmé, fidèle au ton de l’œuvre… et aux mouvements de lèvres. Vient ensuite le directeur artistique, qui oriente le jeu, sélectionne les voix et assure la cohérence globale. En coulisses, les ingénieurs du son veillent à la qualité de l’enregistrement et au mixage final, tandis que les chargés de projet coordonnent plannings, validations et échanges avec les ayants droit. Derrière chaque VF culte, il y a donc des dizaines de mains et d’oreilles expertes. Déléguer tout cela à une IA, ce n’est pas seulement perdre une voix : c’est effacer un savoir-faire collectif afin de maximiser les profits.

Nostalgie vocale

Si tant est que vous aimiez la VF (et rassurez-vous, vous êtes bien plus nombreux qu’on ne le pense), il reste toujours délicat, lorsqu’on suit une série ou une saga, de voir changer les comédiens de doublage associés à certains personnages. L'exemple de la dernière saison de Friends est souvent cité pour illustrer à quel point notre cerveau peut être rapidement perturbé par une discontinuité vocale. Une voix change, et c’est tout une alchimie qui vacille. Cela est encore plus difficile lorsque ces comédiens viennent à nous quitter. Qui n’a pas ressenti ce pincement en s’imaginant Shrek 5, prévu pour 2026, sans la voix inimitable de Med Hondo pour l’Âne. De même, les fans de Bruce Willis peineront à oublier Patrick Poivey, tout comme ceux de Benoît Allemane, qui laissera un vide immense lorsqu’il faudra redécouvrir Morgan Freeman sur grand écran. Ces voix font partie intégrante de notre patrimoine culturel et nourrissent une part de notre propre nostalgie. À force de les avoir écoutées, elles se sont imprégnées en nous, devenant presque familières, essentielles.

DR

Marion Game (disparue en 2023) et Jean-Louis Faure (disparu en 2022) étaient les voix françaises historiques de Jane Kaczmarek (Lois) et de Bryan Cranston (Hal).

Quand il s'agit donc de revisiter une VF culte, comme celle de Malcolm, portée avec brio à l’époque par Catherine Le Lann et réunissant des comédiens chevronnés ainsi que des talents émergents du doublage, les fans de la première heure ne peuvent s'empêcher de s'inquiéter. Ils cherchent donc désespérément une solution miracle pour retrouver la magie de l'expérience, telle qu'elle était vécue lors de la diffusion de la série originale.

Doublage 2.0

Aujourd’hui, l'explosion de l'intelligence artificielle a donné naissance à des outils inédits, transformant de nombreux métiers liés à l’image, au son et à l'animation. Si certains de ces outils en sont encore à leurs balbutiements, d'autres ont déjà atteint un niveau de maturité suffisant pour être intégrés à l'industrie du divertissement. Grâce à un entraînement intensif, l'IA est désormais capable de reproduire la fréquence vocale et la sonorité d’un comédien décédé ou dans l'incapacité de parler. Il suffit pour cela de disposer d’une vaste archive sonore pour recréer un alter ego numérique cohérent. Un exemple marquant de cette avancée technologique se trouve dans Top Gun: Maverick (2022), où, grâce à l'IA, le regretté Val Kilmer a pu prononcer quelques dialogues, malgré la perte progressive de sa voix due à un cancer de la gorge. Une utilisation mesurée de l’IA, validée par l'acteur, qui, dans ce cas, sert un objectif très précis et ponctuel.

Mais qu'en est-il des acteurs décédés ? Certains, comme James Earl Jones, ont pris les devants en léguant leur voix pour des usages futurs, permettant ainsi à leur héritage vocal d'être respecté, notamment pour le personnage de Dark Vador. Cependant, d'autres se retrouvent clonés sans consultation préalable. C'est le cas d'Alain Dorval, décédé en 2024, qui, après avoir incarné la voix française de Sylvester Stallone depuis le premier Rocky, a vu son timbre légendaire numérisé pour être utilisé dans le dernier film de l'acteur, diffusé sur Prime Video. Plus qu'une question éthique, le résultat s'avère catastrophique. Car si l'IA peut répliquer un timbre vocal, elle ne pourra jamais reproduire l'âme d'un acteur, son jeu et ses nuances.

Voix sans issue

Il est devenu aujourd'hui plus facile et rentable de générer une voix avec l'IA que de mettre en place le processus complexe lié au casting d’un acteur : payer son cachet, louer un studio d’enregistrement, et ainsi de suite. Pourtant, à ce jour, aucune IA ne parvient à restituer avec sincérité et talent l’expérience d’un véritable comédien. Les résultats ne sont que des copies sans âme, déclamées sur des tons monocordes, dénuées de toute cohérence avec l’émotion que l’acteur transmet à l’écran. Même en utilisant un autre comédien professionnel ou un imitateur comme référence, le résultat reste insuffisant. De plus, cette situation contribue à la précarisation de nombreux professionnels du secteur, dont de nombreux comédiens, en particulier ceux qui émergent, et qui risquent de ne jamais connaître la carrière qu'ils auraient dû avoir. Car oui, les comédiens déjà bien établis sur des acteurs emblématiques du cinéma sont moins susceptibles d’en pâtir. Sommes-nous prêts à laisser filer les futures étoiles du doublage ?

C’est précisément dans ce contexte que prend tout son sens le mouvement "Touche pas à ma VF". Lancée en janvier 2024, cette pétition a pour objectif de préserver la beauté et l’exception culturelle du doublage français. Soutenue par des figures emblématiques telles que Brigitte Lecordier, Philippe Peythieu, ainsi que les anciens membres du casting de la VF de Malcolm, Brice Ournac, Donald Reignoux, Alexandre Nguyen et Dorothée Pousséo, cette initiative se veut un appel à la sauvegarde d’un savoir-faire unique.

Croire qu’un comédien peut être "remplacé" après sa mort par une simple modélisation vocale, c’est nier la part d'artisanat et d'émotion qu'il met dans chaque ligne.

Imaginez un instant un clone IA de Jean-Louis Faure sur un Hal vieillissant, dépourvu de la fougue et de l'énergie de son jeu si particulier. Ou encore celle de Marion Game sur Lois, privée de ses nuances et de l'âme qui permettait au personnage d'osciller entre une agressivité exacerbée et une compassion maternelle débordante.

Alors certes, il sera difficile voire impossible de rivaliser avec les comédiens orignaux, mais l'essence même de la série Malcolm se doit de rester humain, et cela au détriment de notre nostalgie. Les nouveaux comédiens choisis pour doubler Lois et Hal — ainsi que, probablement, d'autres personnages encore non annoncés — viendront, on l'espère, s’intégrer naturellement aux voix historiques du casting VF, dont plusieurs feront leur retour. Et puis, pour ceux qui n'adhèrent vraiment pas, ou les puristes, il restera toujours cette bonne vieille VO... si tant est que les sous-titres français ne soient pas générés par une intelligence artificielle, pratique de plus en plus répandue et décriée dans le milieu.

L'intelligence artificielle peut avoir sa place, ponctuellement, à condition que son usage soit encadré, transparent, et surtout validé par les principaux concernés. Un outil, pas un substitut. Car ce qui rend la VF de Malcolm aussi culte, aussi marquante, ce ne sont pas des algorithmes, mais des voix humaines et des dialogues adaptés à la perfection par des humains en amont. Des interprètes de chair et d'âme, avec leurs nuances, leurs maladresses, leurs fulgurances. Croire qu’un comédien peut être "remplacé" après sa mort par une simple modélisation vocale, c’est nier la part d'artisanat et d'émotion qu'il met dans chaque ligne. C'est faire comme si son travail n'était qu'un fichier à copier-coller. La voix, ce n'est pas juste un son, même si ce son convoque chez nous un sentiment nostalgique : c'est un souffle, une intention, une émotion. Et ça, aucune machine ne pourra jamais le générer. Et si la technologie continue d’évoluer, notre responsabilité, en tant que spectateurs, sera justement de défendre ce qui ne s’imite pas : le talent, la sincérité, et la part d'humain.

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