Revue de presse

La rédemption des nerds : comment Malcolm a prédit la toxicité des communautés nerd

20 ans après ses débuts, les scénaristes derrière Malcolm réexaminent leur héritage à l’époque de Rick et Morty.

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Cet article est une traduction française de l'article original, écrit par James Dennin et publié sur le site internet de Inverse le 22 janvier 2020.
Par respect envers l'auteur, nous avons conservé grammaire, syntaxe, orthographe, conjugaison, typographie et ponctuation des textes de l'article original.
Par clarté, Le terme "nerd" a été conservé dans la version française, bien que l'on utilise le terme "geek" plus communément en français.
Pour consulter l'article original en anglais, cliquez ici.

Malgré toutes ses qualités, il est facile de voir pourquoi Malcolm, qui a fêté ses 20 bougies en janvier, n’a jamais été considérée à sa juste valeur. Diffusée à 20 h 30, la comédie à caméra unique suivant une famille pauvre et leur fils bien peu appréciable, précédait directement Les Simpson, la série la plus longue de tous les temps, qui abordait beaucoup des mêmes thèmes. Bryan Cranston, un acteur tellement talentueux que l’équipe de scénaristes avait du mal à trouver des cascades et scènes qu’il ne pouvait (ou ne voulait) pas faire, a fini par faire des choses encore plus grandioses, jouant certainement le protagoniste le plus mémorable de l’ère de la télévision à contenu prestigieux.

Malgré le fait d'avoir été quelque peu oubliée, Malcolm tient incroyablement bien le coup. La série examinait les problèmes de classe du 21e siècle avec lucidité (« Madame, je vais être remplacée par une machine, je peux faire ce que je veux », fait remarquer un agent de centre d'appels dans le premier épisode de la saison 2). C’était également un précurseur de la culture nerd, avec son action centrée autour d’une classe remplie de gamins boutonneux hyper-compétitifs et asthmatiques (la classe des surdoués, connue dans l’école sous le nom des « têtes d’ampoule »). En tant qu'élève le plus normal et intelligent du groupe, Malcolm est globalement leur leader. À travers ses expériences de la vie, nous voyons un présage de la toxicité et des illusions de grandeur qui paraissent étonnamment contemporaines en 2020, une époque où la culture nerd ne peut plus être considérée comme à la marge de la société.

"Malcolm était rejeté de la société parce qu’il était pauvre et il était rejeté de ses camarades d’écoles parce qu’il était un nerd."

Comme l’écrivain et humoriste Matt Crowley le disait dans sa rétrospective pour A.V. Club, cela pourrait être dû à l’authenticité phénoménale de Malcolm, que l’un de ses scénaristes décrit comme une « vision morale inébranlable » qui est restée valable alors même que la culture nerd a changé considérablement ces dernières décennies.

« La série est toujours fondée sur la pauvreté et la difficulté de vivre dans la classe moyenne », indique Crowley en réfléchissant à l’héritage de la série après 20 ans. « C’était juste avant l’époque où les nerds sont devenus cools. Mais on n’y était pas encore : il était rejeté de la société parce qu’il était pauvre et il était rejeté de ses camarades d’écoles parce qu’il était un nerd. »

Malcolm a été lancé sur la Fox le 9 janvier 2000. La série, basée sur la vie de son créateur Linwood Boomer, se focalise sur Malcolm après son intégration dans la classe de surdoués. Les sept saisons qui suivent montrent les tentatives de Malcolm à vivre une enfance normale malgré le double poids de la pauvreté et de l’ostracisation sociale due à son intellect (dès le début, il est clair que Malcolm n’est pas simplement intelligent mais tout bonnement brillant).

« Ici, être intelligent, c’est comme être radioactif », se lamente Malcolm dans l’épisode pilote. Alors qu’il finit de parler, le plan de caméra suivant montre l’un des plans les plus iconiques de la série : une vision aérienne du rayon d’explosion autour de lui.

Twentieth Century Fox Film Corporation

Frankie Muniz (Malcolm) dans "Je ne suis pas un monstre" (saison 1, épisode 1).

Le fait que Malcolm ait si bien vieilli est surprenant si l’on prend en compte le virage opéré dans la culture nerd et la perception de celle-ci ces deux dernières décennies. Dans des films tels que Booksmart et 21 Jump Street, les gamins intelligents sont les gamins cools, et ce sont les conformistes ou les branchés qui ont du mal à s’intégrer. Le site de technologies The Next Web l’a très bien dit en 2016, déclarant qu'être geek c’est chic, que les gadgets technologiques ont leurs spectacles de type Fashion Week, et que les programmateurs informatiques sortent avec des top-modèles.

Michael Glouberman, le seul scénariste de Malcolm ayant travaillé sur les sept saisons mis à part Linwood Boomer, acquiesce.

« Il y a 20 ans, il n’y avait rien de tel que la culture nerd. C’était avant Big Bang Theory ou le ComicCon ou ce genre de choses. Nous voulions exacerber les sentiments d’aliénation et de frustration de Malcolm… on n’a jamais voulu que les choses se passent bien pour lui. »

Malcolm serait-il populaire aujourd’hui ?

« Il semble qu’il n’aurait certainement pas eu les mêmes problèmes aujourd’hui. Les enfants intelligents sont devenus les stars de la cour de récré », indique Andy Bobrow, un scénariste qui est arrivé au cours de la quatrième saison, puis a écrit pour des séries telles que Community ou Brooklyn Nine-Nine. « C’est comme si être à la marge était devenu le summum du cool. »

Tous les scénaristes interrogés ne sont pas du même avis. Eric Kaplan, un scénariste pour Malcolm et Big Bang Theory, et plus récemment auteur du livre Le Père Noël existe-t-il ? Une enquête philosophique, affirme que les nerds et les personnes équilibrées restent bloquées dans « une lutte darwinienne dans le monde des idées, des personnalités et des stratégies sociales. »

« De la même manière qu’une méduse se bat avec un vers dans l’océan, et que la méduse est capable d’adopter un gêne et d’intégrer le poison de ce gêne dans son propre ADN, il y a certaines choses que les nerds faisaient et qui ont été adoptées par les gens socialement aptes », explique Kaplan (bonne nouvelle, les scénaristes de Malcolm restent drôles). « On peut être beau gosse et aussi adorer Star Wars. Mais je ne pense pas qu’un beau gosse populaire et fan de Star Wars soit un nerd. »

"Malcolm n’est pas un personnage admirable. C’est un connard égoïste."

Il est difficile de dire si Malcolm serait populaire en 2020, en grande partie du fait qu’être un nerd ne constituait pas le seul trait de caractère qui isolait le personnage.

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Frankie Muniz (Malcolm) dans "Embouteillage" (saison 2, épisode 1).

Malcolm et l’attitude toxique des nerds

Beaucoup des épisodes le plus mémorables de Malcolm sont ceux où son attitude est particulièrement toxique ou malsaine. Dans "Émancipation", Malcolm mène le reste de sa classe de têtes d’ampoules jusqu’à la crise psychotique en voulant défier son nouveau professeur élitiste. Malcolm se plaint incessamment de l’injustice de sa vie, souvent auprès de son meilleur ami Stevie, qui a des problèmes respiratoires et reste cloué à un fauteuil roulant. Ses illusions de grandeur deviennent délirantes lorsqu’il utilise ses gains aux jeux d’argent pour acheter une voiture. Dans un autre épisode, il passe des heures à se parler à lui-même alors qu’il est censé rendre visite à Stevie à l’hôpital.

« Malcolm n’est pas un personnage admirable, selon Kaplan. C’est un connard égoïste. »

« Malcolm n’était pas connu pour sa bonté, commente Bobrow. C’est une grande partie de la réussite de la série car cela a permis de compatir avec Lois. Quand Malcolm faisait une crise, alors venaient les moments où elle devait se montrer dure avec lui afin de lui apprendre à être humain. »

Malcolm fait son chemin vers la maturité en grande partie par le biais de son appréciation pour la perspective de sa mère. Tandis que Lois pouvait facilement être vue comme une mère colérique et casse-pieds (souvent compensée par l’attitude permissive du père), les scénaristes soutiennent qu’il y a une bonne raison pour laquelle Jane Kaczmarek a été nommée dans la catégorie Meilleure actrice principale dans une comédie aux Emmy Awards sept fois d’affilée, une pour chaque saison. Les fans de la série renvoient souvent à son monologue dans le dernier épisode, qui illustre parfaitement la voix d’autorité morale qu’elle a incarné tout au long de la série.

Ce monologue, qui a pris à Glouberman trois jours à écrire (« J’ai dû pleurer plusieurs fois pendant que je l’écrivais »), revient faire apparition dans vos fils d’actualité de temps en temps. Dans celui-ci, Lois essaie d’expliquer à Malcolm pourquoi il a besoin d’en baver avant de devenir président, plutôt que de devenir riche d’abord.

« Tu sais ce que c'est que d'être pauvre, et tu sais aussi ce que c'est que de travailler dur. Maintenant, tu vas apprendre ce que c'est que de balayer par terre et bouger ton cul, et en faire deux fois plus que tous ceux qui t'entourent. Et ça ne servira à rien parce qu'ils te regarderont toujours de haut. Et toi tu espéreras qu'ils t'apprécient tous, mais ça ne sera pas le cas. Et ça te brisera le cœur. Et ça te permettra d'avoir un cœur gros comme ça, d'ouvrir les yeux, et finalement tu réaliseras qu'il y a bien plus important dans la vie que de prouver qu'on est la personne la plus intelligente du monde. »

"Rick Sanchez est en fait Malcolm s’il n’avait jamais eu Lois comme mère."

Bien plus qu’une femme râleuse et sans relief (comme elle a pu l’être représentée), Lois n’a de cesse de chercher à trouver justice durant l’ensemble de la série. Dans l’un des premiers épisodes, elle est licenciée de son travail mal rémunéré dans un supermarché après avoir obligé son fils Dewey à venir s’excuser pour avoir volé une onéreuse bouteille de cognac. Plus tard, elle passe un épisode tout entier à s’en prendre au système judiciaire à cause d’une amende de stationnement qu’elle conteste. Et bien que certaines de ses tactiques puissent paraître extrêmes, l’une des forces comiques de la série réside dans le fait que ses enfants terribles (qui, entre autres choses, ont détruit tous ses objets les plus chers et lui ont fait croire qu’elle avait le cancer) le méritent généralement.

« Dans ce discours, Lois incarnait Dieu d’une certaine manière en disant que les choses tournent mal dans le seul but d’acquérir de l’empathie et d’aider les autres », indique Bobrow, qui part sur un contre-exemple avec Rick Sanchez, le scientifique sociopathe de la série animée Rick et Morty. « On pourrait imaginer que Rick Sanchez est en fait Malcolm s’il n’avait jamais eu Lois comme mère. »

« Lois est vraiment un personne héroïque, soutient Keplan. L’idée que ces gens sont pauvres et que leur vie n’est qu’une succession d’humiliations était réaliste. Il n’y avait pas d’autre approche au conflit de classe qu’une vision morale inflexible. »

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Jane Kaczmarek (Lois) dans "Cours du soir" (saison 2, épisode 19).

En bref, ce que Lois comprenait, et ce que les scénaristes comprenaient, c’est que l’intelligence n’est en rien une garantie de comprendre réellement les difficultés rencontrées par une mère pauvre et smicarde. Outre la musique (dans un épisode, Malcolm réécrit laborieusement le jingle déjà existant d’une publicité pour son cours de musique), il s’agit probablement de la seule chose qu’il est difficile pour Malcolm d’apprendre.

En s’intéressant aux communautés de nerds contemporaines, il n’est pas difficile de trouver d’autres exemples de ce qu’il arrive aux nerds qui n’ont pas une mère comme Lois. Silicon Valley, la capitale des nerds, reste un endroit hostile pour les femmes, tout comme les entreprises et communautés de fans qui sont gérées par des hommes. L’intelligence peut mener à l’argent, à l’influence et au pouvoir. Elle peut même attirer les filles, comme Malcolm l’apprend. Mais elle ne fait pas de vous quelqu’un de bien.

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