Dossiers

On n'est pas là pour rigoler !

Bryan Cranston (Hal) dans © Twentieth Century Fox Film Corporation
Bryan Cranston (Hal) dans "La nouvelle tête d’ampoule" (saison 2, épisode 11).

Burlesque, déjantée, parfois grotesque, Malcolm a toutes les caractéristiques de la typique série comique et semble, de prime abord, n'exister que pour titiller vos zygomatiques. Si l'on y regarde de plus près cependant, les aventures de cette famille américaine peuvent traiter de sujets très divers, qu'ils soient graves, dérangeants ou même tabous. De la religion à la politique, de la sexualité au caractère torturés des personnages, découvrez en quoi Malcolm s'est essayée, durant sept ans, à l'élaboration d'un genre qui n'hésite pas à jouer sur tous les registres.

La politique

De temps à autre, Malcolm aime faire référence à la politique. Indirectement ou de manière tout à fait claire, quitte à se lancer parfois dans un procès gouvernemental à la X Files, la série se permet une critique parfois piquante et irrévérencieuse du gouvernement américain. C'est ainsi que dans une storyline cultissime de l'épisode 7.18 – "L'abri de mes rêves" (Bomb Shelter), Hal s'entretient avec un portrait de Kennedy et lui rend compte des événements passés depuis sa mort. Il s'ose notamment à dire : "Durant toutes ces années, on a jamais eu de président aussi génial que [lui]." Ici le message est précis, et le père de famille n'y va pas par quatre chemins en affirmant que les temps ne sont plus les mêmes. Une manière pour les scénaristes de s'exprimer à travers Hal, de faire passer leurs idées sous couvert d'un personnage de fiction.

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Bryan Cranston (Hal) dans "L’abri de mes rêves" (saison 7, épisode 18).

L'humour vient se nicher dans le ridicule de la situation (Hal parle à une photographie, tout de même) mais ne prend qu'une petite place en définitive. Il sert de prétexte à une petite dissertation historique qui s'étend sur une bonne partie de l'épisode. Barbant ? Pas forcément. Tout dépend de la sensibilité du spectateurs à ces considérations intellectuelles, et c'est là tout le charme de la série : explorer de nombreux domaines pour satisfaire de nombreuses personnes.

Mais avant de jouer les analystes, le père de Malcolm s'est retrouvé victime de ce gouvernement qu'il ne cautionne pas tout à fait. D'abord en intégrant le temps de quelques expérience douteuses une organisation étrange liée aux services secrets américains dans l'épisode 5.12 – "Frapper et recevoir" (Softball), puis en étant accusé à tort de crimes en tout genre qu'il n'a jamais commis dans les épisodes 5.21 – "La grande pagaille - 1re partie" (Reese Joins the Army (1)) et 5.22 – "La grande pagaille - 2e partie" (Reese Joins the Army (2)). Dans les deux cas, on touche au sujet cinématographiquement et télévisuellement récurrent du complot gouvernemental : une sorte de conspiration logée dans les hautes sphères du pays qui se sert des services secrets pour son propre intérêt au moyen de toutes les corruptions possibles. Dans une moindre mesure, cette conspiration est aussi abordée dans 4.22 – "Les arnaqueurs" (Day Care) dans la scène où Francis se fait arrêter par un duo proche des Men In Black après s'être fait passer pour un extraterrestre pour attirer des touristes au ranch Grotto. Le complot est également évoqué dans l'épisode 4.15 – "Le grand déballage" (Garage Sale) quand Hal remet en service sa radio pirate. Notons que Malcolm n'est pas particulièrement originale sur ce coup, ce qui est assez rare pour être remarqué, et nous bombarde de clichés relatifs sur le sujet.

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Bryan Cranston (Hal) dans "La grande pagaille - 2e partie" (saison 5, épisode 22).

Des clichés qui servent à traiter le sujet de manière plutôt burlesque, bien moins subtile que l'entretien Hal/Kennedy dont nous avons parlé précédemment. Toujours est-il que, d'une manière ou d'une autre, la série ne se contente pas d'aligner gags et facéties. On n'ira pas jusqu'à crier au génie intellectuel, mais parfois, le propos se déplace vers des considérations très éloignées de celles d'une sitcom habituelle. Il semble d'ailleurs important de préciser que la série se conclut quasiment sur une réflexion politique ; on pense au discours de Lois, dans le tout dernier épisode 7.22 – "Malcolm président" (Graduation), au titre français très évocateur, qui déplore la situation sociale dans laquelle elle se trouve depuis toujours et qui nourrit de grandes aspirations pour son fils : elle le voit carrément président des États-Unis. Et si Malcolm accède effectivement au poste de président, si la classe moyenne parvient à se mettre sur le devant de la scène, gageons que la famille de notre surdoué aura pris une belle revanche sur tout ce que le système lui a fait subir.

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Jane Kaczmarek (Lois) dans "Malcolm président" (saison 7, épisode 22).

Nous n'avons ici cités que quelques exemples ; nous aurions aussi pu partir sur le terrain du dyptique chevauchant les saison 5 et 6, lorsque est Hal est pris au piège par le gouvernement, et où les scénaristes dénoncent (bien qu'avec une certaine dose d'humour) un système américain aussi procédurier que corrompu. On pourrait dès lors se demander à quel degré il incombe de lire tous ces clins d'oeils politiques. Pour sûr, Malcolm n'est pas une série fondamentalement sérieuse. C'est avant tout un divertissement. Toutes ces références aux institutions politiques sont donc à prendre comme un petit plus, comme une preuve de maturité par rapport à d'autres sitcoms, mais surtout pas comme le leit-motiv du show.

La sexualité

Malcolm aborde souvent la sexualité à des fins humoristiques, et quoi de plus normal pour une comédie. Lois et Hal, de part leur libido incontrôlable, donnent lieu à des scènes bien cocasses... qui pourraient paraître déplacées dans une série familliale, pour un public conservateur. On apprend ainsi, dans 1.06 – "Poquito Cabeza" (Sleepover), que Hal va faire ses achats coquins au sex-shop du coin ! Dans un autre registre, on se souvient tous de l'épisode 6.04 – "Pearl Harbor" (Pearl Harbor) durant lequel Jessica mène Malcolm et Reese en bateau jusqu'à ce qu'ils se croient mutuellement homosexuels. Une storyline qui aborde avec légèreté la question de l'homosexualité et montrant que malgré les clichés, les deux frères sont prêts à s'accepter quoi qu'il en advienne.

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Frankie Muniz (Malcolm) et Justin Berfield (Reese) dans "Pearl Harbor" (saison 6, épisode 4).

De même, plus tôt dans la série, dans 3.01 – "Tout le monde sur le pont" (Houseboat (1)), le couple Kenarban livre une scène particulièrement drôle lorsqu'ils est surpris aux prémices de ses ébats alors qu'il semblait en pleine dispute. Bref, le sujet n'est pas tabou, et se voit plutôt bien mis à l'oeuvre sans vulgarité et sans dépasser trop de limites. Quand devient-il dès lors sérieux, puisque c'est ce qui nous intéresse à travers ce dossier ? Assez rarement, il faut l'admettre. Malcolm restant au fond une série familiale et humoristique, il n'est jamais question de véritables dilemmes intimes. Malgré tout, la question peut atteindre un certain niveau de "gravité". On relèvera par exemple la scène de l'épisode 5.04 – "Le grand chef" (Thanksgiving) où Malcolm, complètement cuit, est sur le point de coucher avec une fille. Il finit par se rebiffer et, de retour à la maison, Francis le félicite de ne pas avoir abusé de la situation. Dans ce cas, sans pour autant aller en profondeur, la série a bien quitté sa régulière légèreté. Le propos est plus intense, et la morale reste sauve. Dans un tout autre registre, Lois a, dans la saison 7, une discussion stricte et sérieuse sur le sujet avec son génie de rejeton. Il est question de protection, de maladies... bref, les personnages abordent des sujets de société préoccupants qui s'éloignent tout aussi franchement des scènes les plus burlesques de la sitcom.

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Frankie Muniz (Malcolm) dans "Le grand chef" (saison 5, épisode 4).

La métaphysique

Voici sans doute l'aspect sérieux le plus ignoré de la série : sa métaphysique. Pour ceux qui n'auraient jamais pris des cours de philosophie, on résumera le concept en quelques mots : il s'agit de toutes considérations sur la mortalité, sur la vie après la mort, sur ce qui se rattache à notre rapport avec l'au-delà. Car oui, à ses heures perdues, Malcolm évoque la question. Lois est par exemple la première à adopter une posture philosophique dans ses discours. Elle expliquera par exemple à son fils, dans l'épisode 1.11 - "Les funérailles" (Funerals) :

"Tu veux savoir ce qui se passe quand on meurt ? Ben, on est mort, c’est tout."

Lois à Dewey dans l'épisode "Les funérailles"

Et à Hal de répondre :

"Chérie, c’est un peu réducteur. En fait, mon garçon, après la mort ton corps subit tout un tas de changements fascinants. D’abord il se met à gonfler comme un ballon, et se ratatine comme un raisin sec. Ensuite, des tas de petits microbes qui sont invisibles mais qui sont déjà en toi se mettent à dévorer toute ta chair et c’est comme ça que tous les éléments du corps humain retournent à la terre. Et puis il y a aussi ceux qui disent que les cheveux continuent à pousser mais tu sais, c’est un mythe. En fait, c’est ta tête qui se réduit."

Hal à Dewey dans l'épisode "Les funérailles"

Ici, pas de bon sentiments, pas de paradis, pas de meilleur monde... Non, une réponse très cartésienne loin des discours préconçus.

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Erik Per Sullivan (Dewey) dans "Les funérailles" (Funeral).

Du côté des enfants, on peut apparenter les célèbres réflexions de l'innocent Dewey dans l'épisode 4.22 - "Les arnaqueurs" (Day Care) à une forme de réflexion sur l'être humain et sa place sur terre ; l'être humain n'est rien d'autre, dans le discours du jeune, qu'une fourmi parmi tant d'autres qu'un grand créateur peut bien vite écraser avec sa grosse pelle. On aurait tort de prendre ce pied-de-nez fait aux institutions religieuses que côtoient brièvement la famille de Malcolm sur un ton purement humoristique. Dans les deux cas, une réflexion est amorcée, et le spectateur peut s'y adonner ou non.

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La société américaine

En long, en large et en travers, Malcolm dénonce la société américaine et ses dysfonctionnements. Et ce n'est pas une surprise, lorsqu'on sait que dans le titre original de la série, Malcolm in the Middle, le middle fait référence à la place qu'occupe Malcolm au sein de sa famille, mais également à la fameuse middle-class américaine. Nous citions plus tôt la scène durant laquelle Hal porte un toast au portrait de Kennedy : elle symbolise plutôt bien le sentiment d'un âge d'or déchu qui anime les scénaristes. L'Amérique de Malcolm, c'est celle des rêves refoulés, de la déchéance, des désillusions. C'est Malcolm qui doit faire le ménage en parallèle de ses études malgré son potentiel étonnant, c'est Dewey qui refoule ses talents de musiciens en baignant dans l'incompréhension la plus totale (Lois, sans le dire explicitement, semble bien penser que la musique n'est pas un métier dans le monde qu'elle affronte chaque jour), c'est Hal qui se retrouve injustement au chômage pour des raisons qui le dépassent. La famille de Malcolm est une famille dysfonctionnelle car elle subit les mécanismes d'une société elle-même dysfonctionnelle, qui ne laisse pas de place aux aspirations individuelles. En cette (longue) période de crise, on peut aussi mentionner l'épisode 5.15 – "Enfin seul !" (Reese's Apartment). Reese y devient "fictivement" stable et heureux puisque l'équilibre auquel il parvient en se trouvant un appartemment n'est que le fait de crédits faramineux dont Lois et Hal vont devoir supporter les conséquences. Cette storyline met le doigt sur le phénomène de la multiplication des crédits à la consommations aux États-Unis qui pousse plusieurs américains à s'endetter et à vivre au-dessus de leurs moyens. Il n'est pas rare qu'ils possèdent en effet plusieurs cartes de crédit simultanément. On l'a aussi souvent souligné – la série de Linwood Boomer a volontiers cassé les codes de la sitcom pour montrer un autre visage de l'Amérique – les exemples de série ayant osé l'exercice avant elle se comptent sur les doigts d'une main, et l'on peut sans doute citer Mariés, deux enfants, et, encore plus évident, Les Simpson.

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Gary Anthony Williams (Abe Kenarban) dans "La guerre des poubelles" (saison 6, épisode 3).

Il n'est pas question chez Lois et Hal d'une famille bien rangée représentative d'une société parfaite et ordonnée. Elle est au contraire le miroir de tout ce qui cloche aux États-Unis ; sa figure vivante. Les injustices continuant à faire rage en Amérique du Nord sont aussi pointées du doigt par l'équipe de Malcolm. Des thèmes variés entrent alors en scène. On peut penser au racisme qui est mis en avant avec la révolte de Lois dans l'épisode 6.03 - "La guerre des poubelles" (Standee), concernant une affiche représentant un employé de couleur noire, heureux de travailler comme balayeur. On peut également mentionner le regard porté sur les infirmes avec un Stevie en prend souvent pour son grade, ou les distinctions fortement marquées entre les surdoués et les enfants moins intelligents, propos largement mis en lumière tout au long de la série que ça soit à travers du personnage de Malcolm au début de la série ou à travers celui de Dewey sur la fin.

En bref, il est clair que Malcolm n'a pas une fonction fondamentalement moralisatrice et que Linwood Boomer n'a pas cherché à en faire une série totalement sérieuse. Néanmoins, certains de ses aspects poussent à la réflexion et au questionnement. On ne peut ignorer une recherche de profondeur dans certaines intrigues, qui quittent les sentiers habituels de la série humoristique. Certains épisodes sont structurés dans le but de dénoncer certains aspects de la société américaine, de ses institutions, de son système ; que cela soit de manière évidente (on citera encore "Les arnaqueurs", une référence en la matière) ou de manière plus subtile. Quoi qu'il en soit, vous pourrez désormais tordre le cou à certaines idées reçues concernant la série. Non, Malcolm n'est pas qu'une série de bêtises perpétrées par des enfants attardés. Malcolm a aussi essayé, au fil des années, d'acquérir une certaine maturité et conscience sans en oublier ses fondamentaux, et donc de nous divertir.

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